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Chroniques
Hanns Eisler
œuvres pour piano – musique de chambre (intégrale)
Hanns Eisler (1898-1962) a produit une musique de chambre importante et variée dont rend compte cette première intégrale mondiale – enregistrée à Zurich entre 1985 et 1991. La composition pour piano occupe la moitié de ce coffret de quatre disques. Eisler n'y consacra pas toute sa vie, mais principalement ses années de jeunesse – sous l'influence déterminante de Schönberg, dont il fut l'élève de 1919 à 1923 – et après l'exil de 1933 aux États-Unis, durant lequel il fallait bien tromper l'ennui en composant des mélodies et autres menues pièces.
Fünf Frühe Klavierstücke réunit deux pièces de 1918 et trois de 1922, miniatures lyriques de jeunesse aux accents inattendus. Datant de 1923, la Sonate pour piano Op.1 n°1 est la première composition d’Eisler à être imprimée, sur la recommandation du chef de file de l'École de Vienne. Elle se détache peu à peu des formes traditionnelles. La même année les Klavierstücke Op.3 verront le jour, morceaux qui ont, pour Adorno, « la grâce du naturel, à côté de la clarté spirituel de leur niveau compositionnel élevé ».
En 1925, Eisler achève deux pièces : la Sonate Op.6 n°2 – cycle de quatorze variations dodécaphonique, empruntant des éléments de sonates – et les Klavierstücke Op.8 à la polyphonie et au sentimentalisme minimaux. Détaché, selon son propre aveu, de la musique moderne, engagé dans le mouvement berlinois de la musique ouvrière, le compositeur ne livre que deux petites pièces de piano (1927) d'un cycle de douze qu'un éditeur viennois lui a commandé. En revanche, il répondra en 1932 à la demande moscovite d'écrire les Klavierstücke für Kinder Op.31 et les Sieben Klavierstücke Op.32 destinés à l'éduction musicale des enfants, essayant de leur « enseigner la logique musicale, grâce à des moyens progressistes nouveaux ». Les dernières œuvres pour piano –Sonatine (Gradus ad Parnassum) Op.44 (1934), Variationen (1941), la Sonate n°3 (1943), Drei Fugen (1946), quelques pièces brèves pour deux pianos, etc. –, suite à l'exil voulu par les nazis, manifestent l'angoisse de l'époque. Elles marquent le retour à la méthode dodécaphonique, pour prouver qu'avec elle « on peut s'exprimer musicalement de façon simple, logique et compréhensible ».
Après guerre, Eisler revient en désormais République Démocratique Allemande et, jusqu'à sa disparition en 1962, n'écrira plus que de la musique destinée au cinéma ou au théâtre. L'exil américain l'avait déjà habitué à l'étude et à la pratique de la musique de film : Nonett n°1 (1939), Nonett n°2 (1940-41), Suite für Septett Op.92a (1940) et Septett n°2 « Circus » (1947) dérivent de travaux de recherche qui visaient à émanciper le son de l'image, au point de pouvoir être publiés indépendamment. Des projets aboutis ou non mirent en relation Eisler avec John Ford, Joseph Losey, Charlie Chaplin… Mais même l'engagement public de certains d'entre eux ne parvint pas à convaincre la Commission anti-américaine, en pleine chasse aux sorcières, d'expulser le compositeur en mars 1948.
Parmi ses autres œuvres de chambre, citons Sonate für flöte, oboe und Harfe (1935), écrite en 1935, durant un séjour danois chez Bertolt Brecht, et Vierzehn Arten den Regen zu beschrieiben / Quatorze manières de décrire la pluie (1941), dédié aux soixante-dix ans de son ancien professeur, mais qui, malgré la technique des douze tons et l'instrumentarium du Pierrot Lunaire, devait au départ accompagner Pluie, un film expérimental de Joris Ivens…
Rédacteur de la revue suisse Dissonanz/Dissonance, producteur artistique auprès de la SSR, essayiste et bien sûr interprète, le pianiste Chistoph Keller défend la musique du XXe siècle comme personne. Son travail nuancé sur Fazioli D-308, tonique mais sans sécheresse, rend justice à un compositeur qui voyait dans le sentimentalisme et l'enflure des humeurs un divertissement bourgeois. C'est également lui qui dirige le Kammerensemble de Zurich, dans la seconde partie du programme. La qualité de cet enregistrement est un atout précieux pour qui souhaiterait mieux connaître cet autre élève de Schönberg.
LB